Mémorial de l'abolition de l'esclavage

Les quais de Nantes portent la marque indélébile de l’esclavage et de la traite négrière. Ce sont cinq cent cinquante milles africains qui furent déportés depuis Nantes à bord de plus de mille huit cents expéditions négrières. Comme j’emprunte le sous-terrain du Mémorial de l’abolition de l’esclavage je prends conscience au travers de ces chiffres exorbitants de l’ampleur du drame humain qui s'est joué ici et ailleurs. L’homme est un loup pour l’homme. L’esclavage, qui nie par la soumission sans condition de l’esclave jusqu’à sa propre essence humaine, est une abjection totale au regard de notre vision contemporaine de l’humanité. Combien de balles de coton, de sac de cacao, de café, de tonnes de sucre, de stère de bois exotiques transitèrent sur ces quais, produits dans les colonies d’Amérique par la force asservie de ces esclaves entre le XVe et le XIXe siècles ! Une économie française et européenne bâtie dans l’ignorance du prix réel d’une main d’œuvre non payée. La fortune des uns, le confort des autres acquis par le prix du sang. Ce lieu de mémoire est vertigineux, surtout quand on songe que l’époque actuelle connaît encore des formes modernes d’esclavage. S'emparer d'autrui pour s'approprier sa capacité d'action, la détourner à son seul profit, et exercer sur lui -ou sur elle le plus souvent- une violence physique, mentale ou sociale afin de n'avoir à rétrocéder nulle réelle contrepartie autre que quelques maigres subsistances, du reste intéressées car elles permettent de perpétuer l'appropriation, est un vol doublé d'un viol. Le vol d'une énergie, qui plus est humaine. Le viol de la liberté de disposer de soi. Combien de colères faudra-t-il à l’humanité pour se défaire de ses errements ? Combien de combats ? Je pense à Martin Luther King : « Nous devons rapidement commencer à passer d'une société “orientée vers les choses” à une société “orientée vers la personne”. Quand les machines et les ordinateurs, les motifs de profits et les droits de propriété sont considérés comme plus importants que les individus, les triplés géants du racisme, du matérialisme et du militarisme sont impossibles à battre. » L'esclavage était le degré ultime de la réification du monde. La marchandisation généralisée en est sa forme moderne et pernicieuse. Si l'urgence des changements sociaux s'exprimait déjà voilà plus de cinquante ans, que ne devrions aujourd'hui crier dans le silence assourdissant d'une acceptation passive !