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Une épidémie de désinformation

  • Photo du rédacteur: Didier Guénin
    Didier Guénin
  • 26 janv. 2021
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 août 2021


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Jamais notre pays, comme d’autres, n’aura compté autant d’experts médicaux que durant cette pandémie, quasiment autant que de spécialistes du football lors du dernier mondial. En cela, rien d’anormal ; en temps de crise il est même sain que chacun puisse s’exprimer, c’est un bon moyen d’exorciser ses propres craintes. Sans doute serait-il plus sage que chacun s’exprime en fonction de ses compétences et choisisse pour ce faire l’angle adéquat ; cela aurait le mérite de faire circuler une parole informée avec les controverses indispensables qui nourrissent l’élaboration du savoir.

Hélas, trop d’expressions relèvent dans le meilleur des cas du café du Commerce, ceci-dit il ne faut pas mésestimer leur utilité psychosociologique, et dans le pire des cas du colportage broussailleux de fake-news et de théories farfelues ou complotistes. Cette seconde réalité est plus problématique pour la cohésion sociale, même si elle est sans doute inévitable, tout particulièrement dans une société hyperconnectée comme la nôtre.

Plus grave est la fragilité, pour ne pas dire le biais, d’informations auxquelles nous sommes confrontés. Le manque flagrant de véracité dans les informations télévisuelles, tout comme les effets de communication vibrionnants des pouvoirs publics, sont hautement anxiogènes. Or dans une crise chacun a plus que jamais besoin de repères. Or ceux sur lesquels nous devrions pouvoir nous appuyer nous font défaut.

Ainsi il arrive que des ministres se contredisent les uns les autres dans la même semaine, ou contredisent les expressions publiques des experts, mandatés pour les conseiller, avant que de se contredire une nouvelle fois en mettant en place tardivement les propositions de ces mêmes experts.

Ainsi nos médias nous renvoient une vision totalement biaisée de ce qui se passe en France et hors des frontières de l’hexagone. Nous voyons par le petit bout de la lorgnette ce qui se passe dans tel ou tel pays. Seules les informations qui nous sont relayées sont celles quand ce qui s’y passe est pire qu’en France. Nous avons par exemple connu en début d’année un matraquage d’informations sur la situation particulièrement dégradée en Allemagne ou en Italie, alors même que l’analyse complète de la deuxième vague montre que la circulation virale dans ces deux pays est bien moindre qu’en France comme le montrent les graphes ci-dessus. Comparer à un instant donné les chiffres de deux pays est un contresens, car il ne faut pas confondre temporalité et chronologie. Le développement de l’épidémie obéit à des lois de propagation qui se moquent de la nationalité de leur espace mais intègrent les freins à la circulation rencontrés au travers des mesures de barrières et de distanciation mises en œuvre. Il obéit surtout à une chronologie différente. Ainsi pour avoir un début d’analyse il convient de recaler les courbes pour raisonner sur la chronologie intrinsèque de l’épidémie et non pas sur la temporalité universelle.

Autre exemple, régulièrement tel ou tel journal télévisé nous gratine d’un reportage sur la situation dans tel ou tel pays africains, avec des poncifs dignes de Tintin au Congo, nous y annonçant l’imminence d’une catastrophe, alors même que pour de multiples raisons la circulation virale est globalement modérée en Afrique.

Pourquoi nos médias ne mènent-ils pas des investigations au Japon, en Nouvelle Zélande ou en Norvège pour ne prendre que ces quelques exemples, afin de comprendre ce qui se passe dans ces pays et essayer d’expliquer pourquoi l’épidémie de Covid19 y est statistiquement moins virulente. A date la France compte hélas 1108 morts par million d’habitants, pour 102 en Norvège, 41 au Japon et 5 en Nouvelle Zélande. Et le panel des situations est large puisque que sur les 195 pays de la planète seuls une petite trentaine de pays comptent plus de 1000 morts par million d’habitants.

Par exemple comment se fait-il que Monaco qui a mis en place des mesures très différentes de celles de la France est à 233 alors que ce micro Etat est enchâssé dans un département où le virus circule de façon la plus virulente ? Andorre, Saint-Marin, le Liechtenstein pour ne prendre que des Etats européens comparables font partie de la trentaine d’Etats au-delà de 1.000.

Autre exemple l’Estonie est à 296, la Lettonie à 584 et la Lituanie 963. Pourquoi ces différences ?

Il y a dans ces différences de situation des savoirs à aller chercher. Non pas pour se comparer dans une stupide compétition de cours de récréation, mais pour aller chercher des éléments de compréhension partagée. Identifier des bonnes pratiques serait de nature à partager des voies d’amélioration à disposition de tous.

Prenons la vaccination. Là encore au-delà des péripéties d’un démarrage moins anticipé ici qu’ailleurs, les informations en boucles sur la pénurie des doses sont fortement démenties par la réalité des chiffres rappelés ci-dessus : la France a toujours eu plus d’un million de doses dans ses congélateurs !

Toutes ces informations jetées en pâture à l’opinion visent-elles une désinformation organisée ou bien relèvent-elles d’une stratégie marketing des chaînes pour aller chercher dans la lie de nos penchants des parts de marché supplémentaires ? Que ce soit la première réponse ou la seconde, la problématique est la même, celle de la réalité de notre espace démocratique. Car pour avoir un débat démocratique, encore faut-il que chaque citoyen dispose de la réalité des données pour forger sa propre conviction. Si tel n’est pas le cas, le citoyen perd de sa capacité autonome à réfléchir pour être instrumentalisé et stimulé en vue d’une réaction préformatée !

Au-delà de la faiblesse numérique de notre système de santé, heureusement grandement compensée par la robustesse de l’engagement personnel des équipes hospitalières, au-delà de la trop faible capacité de notre technostructure à s’adapter au réel mouvant et fluide, au-delà de la terrible entendue de la précarité dans laquelle nombre de nos concitoyens sont plongés, ce que révèle cette épidémie de Covid19 ce sont les trop nombreuses défaillances dans la production d’informations fiables, vérifiées et objectivées de la part de nos média.

Il y a sans doute urgence à repenser la qualité du partage de l’information, car sans diagnostic partagé sur la base de données fiables, vérifiées et objectivées il n’y a point de construction solide possible. On ne bâtit pas sur des marais !

Surtout que, pour que terrible que soit cette épidémie de Covid19 que nous traversons, celle-ci est hélas peu face aux menaces que le réchauffement climatique fait peser sur nos sociétés. Si nous abordons cette crise climatique en cours comme nous l’avons fait pour l’épidémie de Covid19 il y a beaucoup de mauvais sang à se faire !

Pourtant l’adversité peut être un moteur puissant de l’action. Je suis viscéralement convaincu que nous avons, si nous nous en donnons les moyens, la capacité à emprunter les voies pour faire des défis sanitaires, sociétaux, économiques et climatiques qui se dressent devant nous des opportunités de bâtir l’avenir tel que nous le voudrions.

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